Corpus de texte: ChateauBriand
Chateaubriand est un auteur français né en 1768 et mort en 1848. Grand voyageur, il voulait absolument marquer son passage en Amérique. Il y passa un peu moins d’un an. Sa vie fut jonchée d’expériences de toutes sortes allant d’un carrière militaire à une carrière politique, en passant par une vie dans un grenier en Angleterre en tant que professeur de français et traducteur pour libraire, et un voyage en Orient.
Indéniablement son style d’écriture est touchant, laissant notre imagination glisser lentement dans le nouveau monde. Son voyage a dû d’ailleurs le marquer. À travers ses textes, on sent la présence divine: en effet, Chateaubriand était un homme qui aimait la religion, et sa solitude dans la Wilderness fut certainement le combustible de son ardente ferveur religieuse.
En quoi les écrits de Chateaubriand révèlent ils un amour pour la religion et quelle place Chateaubriand donne-t-il à celle-ci? Comment défend-il la religion dans cette période de troubles en France?
Chateaubriand est contemporain à la Révolution. Il a connu avant. Il a connu après. Il a connu pendant. Ceci n’est pas sans importance, puisque on découvre le génie du personnage, pragmatique, s’adaptant aux situations. Mais pas seulement. On ne peut s’arrêter seulement à cette attitude face aux évènements; il n’était pas seulement un homme flottant sur l’océan sociale quelque soit son état, agité ou calme. Chateaubriand savait faire parler son coeur; il savait aimer, il savait admirer, voir dans les choses leurs plus belles faces. Parfois en cacher d’autres, les laissant sombrer dans l’oubli, puisqu’elle ne pourrait qu’entacher la chose. Il savait embellir, une sorte de main de Dieu, créatrice de fantastique décor, de fantastiques idées.
C’est ainsi qu’il donna à la religion un nouveau souffle, une nouvelle lancée.
Les textes choisis ont pour but de montrer la ferveur religieuse de Chateaubriand, comment il a pu embellir la religion, dont l’image se détériorait. Il a su donner à la religion une nouvelle raison d’être.
«Un soir je m'étais égaré dans une grande forêt à quelque distance de la cataracte de Niagara ; bientôt je vis le jour s'éteindre autour de moi, et je goûtai dans toute sa solitude, le beau spectacle d'une nuit dans les déserts du Nouveau-Monde.
Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres, à l'horizon opposé. Une brise embaumée que cette reine des nuits amenait de l'orient avec elle, semblait la précéder dans les forêts comme sa fraîche haleine. L'astre solitaire monta peu à peu dans le ciel : tantôt il suivait paisiblement sa course azurée ; tantôt il reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime de hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d'écumes, ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'oeil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité. La scène sur la terre n'était pas moins ravissante : le jour bleuâtre et velouté de la lune, descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumières jusques dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement, sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là dans la savane, formaient des îles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissements rares et interrompus de la hulotte ; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulements solennels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires.
La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes : mais dans ces pays déserts, l'âme se plaît à s'enfoncer dans un Océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et pour ainsi dire à se trouver seule devant Dieu.»
Génie du christianisme
Génie du christianisme est un ouvrage paru en 1802 qui fait l’éloge du christianisme. À travers ce texte, une description divine du paysage est faite . Chateaubriand est seul, il contemple la nature s’offrant à ses yeux, il contemple le monde pur, non souillé par l’homme, et considère ce moment comme une rencontre avec Dieu. On dirait que les merveilles de la nature ne peuvent que relever de l’existence de Dieu. Par ces puissantes images, Dieu est rendu magnifique. Créateur de la nature, parfaite, merveilleuse, et inatteignable pour le seul langage humain.
«Elevé comme le compagnon des vents et des flots, ces flots, ces vents, cette solitude, qui furent mes premiers maîtres, convenaient peut-être mieux à la nature de mon esprit et à l'indépendance de mon caractère. Peut-être dois-je à cette éducation sauvage quelque vertu que j'aurais ignorée : la vérité est qu'aucun système d'éducation n'est en soi préférable à un autre. Dieu fait bien ce qu'il fait ; c'est sa providence qui nous dirige, lorsqu'elle nous appelle à jouer un rôle sur la scène du monde.»
Voyages en Amérique
Atala fut un roman écrit à son retour d’Amérique qui fut un succès. Il raconte l’amour de deux sauvages dans la nature pur des Amériques... Peut-on se détacher de l’image d’Adam et Ève, avec Atala qui avait fait voeu de chasteté? Serait-ce une simple coïncidence? Il est difficile de s’accorder à cette dernière hypothèse, car Atala fut aussi considéré comme un éloge au christianisme.
«Il y a des justes dont la conscience est si tranquille, qu'on ne peut approcher d'eux sans participer à la paix qui s'exhale pour ainsi dire de leur coeur et de leurs discours. A mesure que le solitaire parlait, je sentais les passions s'apaiser dans mon sein, et l'orage même du ciel semblait s'éloigner à sa voix. Les nuages furent bientôt assez dispersés pour nous permettre de quitter notre retraite. Nous sortîmes de la forêt, et nous commençâmes à gravir le revers d'une haute montagne. Le chien marchait devant nous en portant au bout d'un bâton la lanterne éteinte. Je tenais la main d'Atala, et nous suivions le missionnaire. Il se détournait souvent pour nous regarder, contemplant avec pitié nos malheurs et notre jeunesse. Un livre était suspendu à son cou ; il s'appuyait sur un bâton blanc. Sa taille était élevée, sa figure pâle et maigre, sa physionomie simple et sincère. Il n'avait pas les traits morts et effacés de l'homme né sans passions ; on voyait que ses jours avaient été mauvais, et les rides de son front montraient les belles cicatrices des passions guéries par la vertu et par l'amour de Dieu et des hommes. Quand il nous parlait debout et immobile, sa longue barbe, ses yeux modestement baissés, le son affectueux de sa voix, tout en lui avait quelque chose de calme et de sublime. Quiconque a vu, comme moi, le père Aubry cheminant seul avec son bâton et son bréviaire dans le désert, a une véritable idée du voyageur chrétien sur la terre.»
Ce personnage du père Aubry représente la chrétienté au sens de l’homme comblé par la religion, l’homme raisonné, n’ayant d’amour que pour Dieu, et par cet amour sa vie ne s’en trouve qu’enrichie. L’extrait que je propose commence par «Il y a des justes dont la conscience est si tranquille». Cette assertion représente la pureté de l’homme chrétien, juste, tranquille. Chateaubriand parle de cicatrices guéries par l’amour de Dieu.
Ce voyageur représente en fait une sorte de sagesse, une sorte d’ermite érudit, solitaire, avec Dieu comme guide. Et ce guide n’a pas l’air de l’emmener dans la naïveté, mais plutôt dans toutes les vertus possibles et dans la plus belle des tranquillités permises aussi grâce à ce «nouveau monde» aussi pur.
«L'aurore, paraissant derrière les montagnes, enflammait l'orient. Tout était d'or ou de rose dans la solitude. L'astre annoncé par tant de splendeur sortit enfin et un abîme de lumière, et son premier rayon rencontra l'hostie consacrée, que le prêtre en ce moment même élevait dans les airs. O charme de la religion ! O magnificence du culte chrétien ! Pour sacrificateur un vieil ermite, pour autel un rocher, pour église le désert, pour assistance d'innocents sauvages ! Non, je ne doute point qu'au moment où nous nous prosternâmes le grand mystère ne s'accomplit et que Dieu ne descendit sur la terre, car je le sentis descendre dans mon coeur.»
«Liberté primitive, je te retrouve enfin ! Je passe comme cet oiseau qui vole devant moi, qui se dirige au hasard, et n'est embarrassé que du choix des ombrages. Me voilà tel que le Tout-Puissant m'a créé, souverain de la nature, porté triomphant sur les eaux, tandis que les habitants des fleuves accompagnent ma course, que les peuples de l'air me chantent leurs hymnes, que les bêtes de la terre me saluent, que les forêts courbent leur cime sur mon passage. Est-ce sur le front de l'homme de la société, ou sur le mien, qu'est gravé le sceau immortel de notre origine ? Courez vous enfermer dans vos cités, allez vous soumettre à vos petites lois ; gagnez votre pain à la sueur de votre front, ou dévorez le pain du pauvre ; égorgez-vous pour un mot, pour un maître ; doutez de l'existence de Dieu, ou adorez-le sous des formes superstitieuses : moi j'irai errant dans mes solitudes ; pas un seul battement de mon coeur ne sera comprimé, pas une seule de mes pensées ne sera enchaînée ; je serai libre comme la nature ; je ne reconnaîtrai de souverain que celui qui alluma la flamme des soleils et qui d'un seul coup de sa main fit rouler tous les mondes [Je laisse toutes ces choses de la jeunesse : on voudra bien les pardonner.»
Voyage en Amérique
Dans ce passage, Chateaubriand crie sa liberté, prône son indépendance, et ne s’attarde pas sur les soucis que la société engendre. Il se dit homme libre, qui ne reconnaît que Dieu, son Créateur. On voit ici l’attachement dont il fait preuve, et à quel point la religion est importante. Par ailleurs, un tel amour permet de raviver la flamme religieuse des Français à cette période qui s’éteint, et c’est une façon de dire qu’il est possible d’associer liberté et amour de Dieu. En effet, la fin du 18ème siècle est marqué par un affaiblissement de la croyance religieuse. Le roi est Dieu. Mais Chateaubriand ne peut accepter cette idée. Dieu doit être le seul souverain, et Dieu ne peut entraver les libertés auxquels prétend l’Homme. Pour les républicains, la religion à laquelle on croit à cette époque est synonyme d’anti-révolution, synonyme de roi, et donc d’absence de liberté. Il faut trouver une alternative à la foi, ou en tout cas à la foi comme on l’avait; on ne peut plus croire comme avant, avec seulement la raison, croire en une vie après la mort, car on sait que l’on va bientôt mourir. Chateaubriand dit qu’il faut aimer;
«La nature a ses temps de solennité, pour lesquels elle convoque des musiciens de différentes régions du globe. On voit accourir de savants artistes avec des sonates merveilleuses, de vagabonds troubadours qui ne savent chanter que des ballades à refrain, des pèlerins qui répètent mille fois les couplets de leurs longs cantiques. Le loriot siffle, l'hirondelle gazouille, le ramier gémit : le premier, perché sur la plus haute branche d'un ormeau, défie notre merle, qui ne le cède en rien à cet étranger ; la seconde, sous un toit hospitalier, fait entendre son ramage confus ainsi qu'au temps d'Évandre ; le troisième, caché dans le feuillage d'un chêne, prolonge ses roucoulements, semblables aux sons onduleux d'un cor dans les bois ; enfin le rouge-gorge répète sa petite chanson sur la porte de la grange où il a placé son gros nid de mousse. Mais le rossignol dédaigne de perdre sa voix au milieu de cette symphonie : il attend l'heure du recueillement et du repos, et se charge de cette partie de la fête qui se doit célébrer dans les ombres. Lorsque les premiers silences de la nuit et les derniers murmures du jour luttent sur les coteaux, au bord des fleuves, dans les bois et dans les vallées ; lorsque les forêts se taisent par degrés, que pas une feuille, pas une mousse ne soupire, que la lune est dans le ciel, que l'oreille de l'homme est attentive, le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l'Éternel. D'abord il frappe l'écho des brillants éclats du plaisir : le désordre est dans ses chants ; il saute du grave à l'aigu, du doux au fort ; il fait des pauses ; il est lent, il est vif c'est un cœur que la joie enivre, un cœur qui palpite sous le poids de l'amour. Mais tout à coup la voix tombe, l'oiseau se tait. Il recommence ! Que ses accents sont changés ! quelle tendre mélodie. Tantôt ce sont des modulations languissantes, quoique variées ; tantôt c'est un air un peu monotone, comme celui de ces vieilles romances françaises, chefs-d'œuvre de simplicité et de mélancolie. Le chant est aussi souvent la marque de la tristesse que de la joie : l'oiseau qui a perdu ses petits chante encore ; c'est encore l'air du temps du bonheur qu'il redit, car il n'en sait qu'un ; mais, par un coup de son art, le musicien n'a fait que changer la clef, et la cantate du plaisir est devenue la complainte de la douleur.»
Ici, les merveilles de la nature sont encore dédiées à Dieu; les oiseaux chantent pour lui (« le premier chantre de la création entonne ses hymnes à l'Éternel»). On sait que Chateaubriand préfère défendre la religion avec le coeur qu’avec la raison. C’est en quelque sorte l’homme nous demandant: «Croyez vous que tout peut-être aussi parfait sans Dieu?». Et la réponse, venant tout droit du coeur et des émotions est: « Si la nature est parfaite, elle est due à un Créateur.»
La force de Chateaubriand se trouve dans son pouvoir de description, qui nous enchaîne aux lignes, impossible de s’en détacher. Et quand le pinceau dans notre esprit peint ce que nous lisons, alors nous sommes transportés dans les vastes déserts, nous nous coupons du monde, nous plongeant dans la solitude du voyage.
L’extrait suivant est seulement présent pour nous montrer le pouvoir de Chateaubriand à donner vie à ses descriptions.
«Une jeune fille parut à l'entrée de la cabane. Sa taille haute, fine et délice, tenait à la fois de l'élégance du palmier et de la faiblesse du roseau. Quelque chose de souffrant et de rêveur se mêlait à ses grâces presque divines. Les Indiens, pour peindre la tristesse et la beauté de Céluta, disaient qu'elle avait le regard de la Nuit et le sourire de l'Aurore. Ce n'était point encore une femme malheureuse, mais une femme destinée à le devenir. On aurait été tenté de presser cette admirable créature dans ses bras, si l'on n'eût craint de sentir palpiter un coeur dévoué d'avance aux chagrins de la vie.
Céluta entre en rougissant dans la cabane, passe devant les étrangers, se penche à l'oreille de la matrone du lieu, lui dit quelques mots à voix basse, et se retire. Sa robe blanche d'écorce de mûrier ondoyait légèrement derrière elle, et ses deux talons de rose en relevaient le bord à chaque pas. L'air demeura embaumé, sur les traces de l'Indienne, du parfum des fleurs de magnolia qui couronnaient sa tête : telle parut Héro aux fêtes d'abydos ; telle Vénus se fit connaître, dans les bois de Carthage, à sa démarche et à l'odeur d'ambroisie qu'exhalait sa chevelure.»
Les Natchez
«Les Indiens, pour peindre la tristesse et la beauté de Céluta, disaient qu'elle avait le regard de la Nuit et le sourire de l'Aurore.» Chateaubriand admirait la nature comme les indiens, au point que ces derniers en faisait des entités, avec un regard et un sourire, par exemple.On a vu précédemment que Chateaubriand était émerveillé devant la nature, la personnifiant à sa manière (Génie du Christianisme). En comparant Céluta à une merveille possédant les caractéristiques des plus belles choses que peuvent nous offrir le monde, elle devient une déesse.
Dans quelle rêveries nous emmènent cette description, exaltant nos sens, ravivant nos passions. Chateaubriand avait cette capacité de rendre ces lignes passionnels, établissant entre le lecteur et le décor des liens imperceptibles, des liens venant du coeur, allant s’attacher aux tableaux de Chateaubriand, et finalement, à admirer ce que Chateaubriand admirait.
Les oiseaux, les quadrupèdes, les poissons, servent de baromètre, de thermomètre, de calendrier aux sauvages : ils disent que le castor leur a appris à bâtir et à se gouverner, le carcajou à chasser avec des chiens, parce qu'il chasse avec des loups, l'épervier d'eau à pêcher avec une huile qui attire le poisson.
Le carcajou est une espèce de tigre ou de grand chat. La manière dont il chasse l'orignal avec ses alliés les renards est célèbre. Il monte sur un arbre, se couche à plat sur une branche abaissée, et s'enveloppe d'une queue touffue qui fait trois fois le tour de son corps. Bientôt on entend des glapissements lointains, et l'on voit paraître un orignal rabattu par trois renards, qui manoeuvrent de manière à le diriger vers l'embuscade du carcajou. Au moment où la bête lancée passe sous l'arbre fatal, le carcajou tombe sur elle, lui serre le cou avec sa queue, et cherche à lui couper avec les dents la veine jugulaire. L'orignal bondit, frappe l'air de son bois, brise la neige sous ses pieds : il se traîne sur ses genoux, fuit en ligne directe, recule, s'accroupit, marche par sauts, secoue sa tête. Ses forces s'épuisent, ses flancs battent, son sang ruisselle le long de son cou, ses jarrets tremblent, plient. Les trois renards arrivent à la curée : tyran équitable, le carcajou divise également la proie entre lui et ses satellites. Les sauvages n'attaquent jamais le carcajou et les renards dans ce moment : ils disent qu'il serait injuste d'enlever à ces autres chasseurs le fruit de leurs travaux.
Voyages en Amériques, Carcajou
Le jeûne accompli, les guerriers se baignent : on sert un grand festin. Chaque Indien fait le récit de ses songes : si le plus grand nombre de ces songes désigne un même lieu pour la chasse, c'est là qu'on se résout d'aller.
Le guerrier explorateur et vainqueur se hâte alors de descendre : il allume sa pipe, la met dans la gueule de l'ours, et soufflant dans le fourneau du calumet, remplit de fumée le gosier du quadrupède. Il adresse ensuite des paroles à l'âme du trépassé ; il le prie de lui pardonner sa mort, de ne point lui être contraire dans les chasses qu'il pourrait entreprendre. Après cette harangue, il coupe le filet de la langue de l'ours, pour le brûler au village, afin de découvrir, par la manière dont il pétillera dans la flamme, si l'esprit de l'ours est ou n'est pas apaisé
Voyages en Amérique
"L'hospitalité est la dernière vertu naturelle qui soit restée aux Indiens au milieu des vices de la civilisation européenne. On sait quelle était autrefois cette hospitalité : une fois reçu dans une cabane, on devenait inviolable; le foyer avait la puissance de l'autel; il vous rendait sacré. Le maître de ce foyer se fût fait tuer avant qu'on touchât à un seul cheveu de votre tête.
Lorsqu'une tribu chassée de ses bois, ou lorsqu'un homme venait demander l'hospitalité, l' étranger commençait ce qu'on appelait la "danse du suppliant". Cette danse s'exécutait ainsi : le suppliant avançait quelques pas, puis s'arrêtait en regardant le supplié, il reculait ensuite jusqu'à sa première position. Alors les hôtes entonnaient le chant de l'étranger : "voici l'étranger, voici l'envoyé du Grand Esprit". Après le chant, un enfant allait prendre la main de l'étranger pour le conduire à la cabane. Lorsque l'enfant touchait le seuil de la porte, il disait: " Voici l'étranger!" et le chef de la cabane répondait: "Enfant, introduis l'homme dans ma cabane" L'étranger, entrant alors sous la protection de l'enfant, allait, comme chez les Grecs, s'asseoir sur la cendre du foyer. On lui présentait le calumet de paix; il fumait trois fois, et les femmes disaient le chant de la consolation: "L'étranger a retrouvé une mère et une femme : le soleil se lèvera et se couchera pour lui comme auparavant."
On remplissait d'eau d'érable une coupe consacrée : c'était une calebasse ou un vase de pierre qui reposait ordinairement dans le coin de la cheminée, et sur lequel on mettait une couronne de fleurs. L'étranger buvait la moitié de l'eau, et passait la coupe à son hôte, qui achevait de la vider."
Voyages en Amériques